Daniel Soula, Psychotherapie corporelle Aix en Provence, vous explique la naissance de l'ego.
« L’Ego n’est pas l’ennemi, il s’est constitué pour protéger le joyaux initial: ce Noyau Sain qui va devoir trouver son incarnation »
C’est tout d’abord comme patient que la notion d’enfant intérieur m’apparut. Aujourd’hui, c’est comme thérapeute à Aix en Provence que j’aborde ce thème, qui me semble central dans la résolution des problèmes existentiels que les patients déposent en consultation : « Les enfants jouent le théâtre des parents et de la lignée familiale. »
Reconnaître cet espace psychique de l’enfant intérieur est essentiel pour l’approcher et faire alliance avec tout ce qui le retient : ses résistances qui sont assimilé à l’Ego à qui il faut, tort tordre le coup. L’Ego n’est pas l’ennemi, il s’est constitué pour protéger le joyaux initial: ce Noyau Sain qui va devoir trouver son incarnation. Lui redonner sa pureté originelle me semble être la voie, l’accès suprême à l’Âme qui, a un moment de l’existence va faire pression pour advenir. Reconnaître cet enfant intérieur est le passage obligé pour aller à la rencontre d’un Soi réunifié. L’alchimie intérieur peut alors opérer pour pacifier l’Ego.
Le contexte sociétale
Nous sommes avant tout des mammifères dotés d’un instinct de reproduction pour la survie de l’espèce. La religion judéo-chrétienne a construit le rapport homme femme sur un couple exclusivement parental.
Pendant des siècles, pour l’Eglise, l’acte sexuel a été une action de reproduction, l’amour n’était pas forcément central. Dans une époque où la religion structurait tous les comportements du berceau à la tombe, les couples ne se posaient pas la question de leur désir ou non-désir d’élargir la famille. Les enfants arrivent plus ou moins tôt, plus ou moins nombreux, envoyés par Dieu comme une bénédiction.
Jusqu’au XVIIe siècle, la période de l’enfance était plus brève que de nos jours. Elle prenait fin dès l’âge de 8 ou 10 ans, avec l’apprentissage ou la mise au travail à temps complet des enfants. Ils devaient être rapidement productifs en participant économiquement à la survie du foyer. Considérés très tôt comme des adultes, mélangés au monde des grands, ils étaient peu protégés des violences, des vices et des séductions. L’amour n’avait que peu de place au regard des enjeux de survie de la famille[1].
D’après Philippe Ariès[2], il semblerait que la famille aimante centrée sur le couple conjugal voit le jour à partir du XVIIIe siècle.
Ce n’est qu’à la libération sexuelle des années 60, que les femmes ont pu revendiquer leur liberté sexuelle. Le désir de la femme a été un des éléments importants de cette révolution culturelle. La possibilité, obtenue de haute lutte, d’interrompre une grossesse dans un cadre légal, a vu la création de l’avortement médicalisé. La femme et le couple ont depuis 1975 accès à une maternité choisie.
Pour autant, je prends le risque de dire que cette question de la parentalité est aujourd’hui, encore liée à des influences sociétales. J’en veux pour preuve certains habitants de pays en voie de développement qui ont un rapport à la maternité en lien direct avec des pratiques religieuses mais aussi et surtout lié à des questions économiques.
En occident, ce lien de la mère à l’enfant a certes largement évolué, même s’il est encore codé par certains conditionnements. L’amour y est central, cependant les contraintes sociétales ont fait que l’évolution n’est pas si nette qu’on pourrait le croire : l’espace périnatal est hyper médicalisé, l’école intervient dès l’âge de trois ans, les mères sont souvent contraintes de laisser leur enfant à la crèche ou chez une nounou dès leur dixième semaine : c’est la période du congé maternité octroyé par l’Etat. Le lien s’en trouve à certains endroits, mécanisé par le rythme que la société impose aux familles, mais aussi que les mères s’imposent dans une volonté d’autonomie rendue nécessaire au regard de l’explosion des couples.
La famille n’est plus centrale dans les aspirations des hommes et des femmes. Le couple parental a pris une autre forme, mais là encore, c’est l’enfant qui doit s’adapter. Cette adaptation conditionne son rapport au lien. Comme ses parents il se trouve dans la spirale du faire et du paraître, au détriment de l’être. Les écrans, entre autres, sont devenus pour lui et ses parents un des liens leur permettant d’exister.
De quoi est-il question ?
Les prémices d’un Ego dit dysfonctionnel
Lorsque nous parlons d’enfant intérieur, nous parlons d’un espace psychique à l’intérieur de l’adulte. Les manifestations de cet espace psychique sont vécues par l’adulte, souvent à son insu. Il est d’ailleurs assez difficile de le voir comme une part rationnelle de l’individu adulte. Cependant, il recèle bien une part réelle : le vécu d’un enfant qui a été dans l’obligation de se suradapter pour exister. « Les apprentissages de l’enfant ne vont pas être linéaires (tels qu’ils pourraient être dans un apprentissage intellectuel), mais hologramiques. C’est-à-dire que l’enfant est en résonance avec son environnement, avec les tensions ambiantes, blocages familiaux et humains, de la place qui lui est réservée au sein de la fratrie. » [3]
L’enfant intérieur est donc une réalité qui n’est pas directement accessible et souvent niée, refoulée voire maltraitée par le sujet adulte lui-même. Dans cette volonté de lutte, et de refoulement de ce vécu souffrant, les ressources pour retrouver la voie(x) individuée sont elles aussi difficilement accessibles.
Ce sont bien les désordres psychiques vécus dans l’enfance qui alimentent la névrose de l’adulte et qui formeront sa personnalité secondaire s’exprimant par l’Ego.[4]
Outre le manque de la satisfaction de ses besoins primaires, la manifestation de ces mécanismes névrotiques vient compenser les manques d’être entendu, vu, reconnu et aimé dans sa totalité. Les personnalités appelées égotiques, sont bien dans un processus de reconnaissance: nombrilistes, attirant l’attention, se mettant en avant...etc
Suivant l’environnement auquel il sera confronté – mauvaise santé psychique ou physiologique de la mère, deuil familial, surmédicalisation de la naissance etc. – il va devoir développer des stratégies de défenses et de survie pour tenter d’exister. Des mécanismes de sur-adaptation se mettent alors en place. Il va se couper de ses potentialités infantiles primaires qui n’auront pas été accueillies. Il ne pourra pas être en lien avec ses ressentis, ses émotions et va construire au fil du temps une prison psychique et corporelle le coupant de son énergie libidinale (énergie de vie).
Au fil des années, n’ayant plus accès à ses ressources initiales, l’adulte va s’identifier à ces mécanismes qui se manifesteront sous forme de névroses en prenant l'expression d’une dépression, burn-out ou manifestations somatiques.
Cet espace psychique qu’est l’enfant intérieur viendra rendre visite à l’adulte, et aussi adhérer à sa personnalité sans que l’adulte ne puisse en être conscient. Nous apercevons son expression lorsque l’adulte se voit surréagir (encore une vision de l’Ego). Je propose une métaphore : celle d’un adulte assis à l’arrière de sa voiture, il voit le volant tourné, le véhicule prend des virages, fait des embardés sans voir qui est au volant.
La disproportion de certains de nos agissements nous renseigne sur la présence active de cet espace psychique. Ce sont nos besoins, souvent non exprimés, ou exprimables, qui se montrent sous forme de peurs, qui font avancer aveuglément ce véhicule qui tente d’éviter les voies douloureuses du manque.
Il réclame l’attention par toute sorte de comportements : jalousie compulsive, demande de relation fusionnelle, peur de l’abandon, tyrannie ou manipulations en tout genre. Ces expressions non conscientes de la souffrance psychique prennent la forme d’un écartèlement ou d’une ambivalence entre l’énergie du Noyau Sain refoulée, qui fait pression pour émerger et la personnalité secondaire, l’Ego qui s’est construite et installée au cours des années.
Souffrant ou pas, nous avons tous eu à expérimenter des situations avec les yeux d’un enfant. Les souvenirs d’impuissance face aux manques sont venus alimenter la formation de cette personnalité secondaire. Le tout petit n’a pas eu d’autre solution que d’essayer de se faire entendre en se manifestant bruyamment pour attirer l’attention ou de se figer et de se couper de ses sensations et de son environnement en se résignant. Son appel au secours n’ayant pas été entendu, il va alors se créer un monde intérieur connoté de désespoir.
L’autre facette de la médaille
L’enfant intérieur n’est pas que l’expression du trauma, de peurs et de blessures terrées, au fin-fond de l’inconscient. Il est aussi pour l’adulte un réel potentiel de joie, de créativité, de justice et d’éthique non conditionnée qu’il conviendra de réhabiliter. « Cette personne peut être pleine de ce qu'il y a de merveilleux dans la vie, tout-à-fait en contact avec son côté enfant, tout en n'ayant pas de difficulté à être adulte[5]. »
Lorsque le tout petit aura eu un espace d’expression libre, lorsqu’il aura été reconnu et sécurisé, la non réponse immédiate à un besoin n’engendrera pas de situation de chaos. La personne pourra patienter et acceptera que son besoin ne soit pas satisfait dans l’instant. Il ressent son droit à l’existence comme une évidence, il pourra créer des liens connectés avec sa sécurité intérieure, en contact avec son essence. Il posera ses limites de manière ferme, avec fluidité, sans violence. Il pourra être en connexion avec son cœur pour aimer sans peur ni surinvestissement de l’autre par des besoins archaïques non satisfaits. C’est ce que nous appelons en dans la psychologie corporelle l’expression de la personnalité primaire.
[1] Marie France-Morel, L’amour Maternel. Editions ERES, 2001
[2] L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime. Edition Plon. 1960
[3] La personnalité́ primaire ou « l’enfant libre », Christiane Lewin Pluriel Nature n°51 – décembre 2002
[4] La personnalité secondaire est plus névrotique ; n'ayant pas ce bien-être indépendant, cette dernière dépend des autres et d'éléments extérieurs pour être gratifiée. La personnalité Primaire par Gerda BOYESEN. Journal of Biodynamic Psychology NO 3, Hiver 1982 PP. 3 à 8
[5] LA PERSONNALITÉ PRIMAIRE, par Gerda BOYESEN. Journal of Biodynamic Psychology NO 3, Hiver 1982 PP. 3 à 8